Jouer du piano avec un équipement d’alpiniste

Jouer du piano avec un équipement d’alpiniste

« IX KLA VIER E », tel était le nom de la performance d’environ une demi-heure de Nick Acorne, pour laquelle 3×3 pianos avaient été montés les uns sur les autres dans l’antichambre. Devant eux s’étendait un échafaudage qu’Acorne pouvait escalader d’un pas rapide. Équipé d’un casque et d’une ceinture à laquelle étaient accrochés toutes sortes d’ustensiles de cuisine, contre-assuré par une corde, il se balançait non pas de branche en branche, mais de piano en piano, pour jouer de courts passages sur chacun d’eux. Tous donnaient lieu à une composition vraiment époustouflante, mais d’abord pour le pianiste lui-même. Il devait à chaque fois franchir quelques mètres de hauteur, aussi bien vers le haut que vers le bas, ou se faufiler sur les entretoises métalliques pour atteindre l’instrument suivant. Les pianos eux-mêmes étaient préparés et présentaient des caractéristiques sonores différentes.

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« IX Kla vier e »

L’essentiel de toute leçon de piano – la bonne position assise et la bonne position des mains – s’est révélé absurde lors de cette performance. Dans les régions les plus élevées, Acorne a dû se suspendre à la corde ou s’agenouiller devant les pianos, parfois dans la partie la plus basse. Ce qui était étonnant, c’est que malgré les difficultés sportives, il en résultait une composition improvisée qui pouvait être entendue même sans escalade. Le fait que chaque représentation – il y en avait trois au total – ait été différente est évident au vu du concept. L’artiste, qui avait auparavant suivi un cours d’escalade pour débutants, a constaté dans une interview avec Daniela Fietzek qu’il ne sous-estimait pas l’effort physique, « mais je sais de moi-même que dès qu’il s’agit d’art, je trouve toujours des ressources dans mon corps ».

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« IX Kla vier e » (Foto: ORF musikprotokoll/Martin Gross)

Les chaussettes de couleurs différentes lors de la 2e représentation – l’une était jaune, l’autre bleue – ainsi que le bref rappel – suspendu à l’envers dans la corde – en disaient long.

S’il convient d’apprécier la performance physique et artistique de Nick Acorne, il ne faut pas oublier que ses activités sont également teintées d’une grande dose d’humour. Le rire et l’étonnement étaient tout aussi permis.

Un grand nombre de musiciens pour le musikprotokoll au Steirischer Herbst 23.

Un grand nombre de musiciens pour le musikprotokoll au Steirischer Herbst 23.

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Marin Alsop und das RSO (Foto: ORF musikprotokoll/Martin Gross)

Pour commencer, Sappho / Bioluminescence de Liza Lim était au programme. Dans sa composition, elle a voulu « ouvrir un espace de spéculation », ce qui est facile au vu du titre. Lim parle à la fois de l’écrivaine antique, dont nous soupçonnons plus que ce qui nous est parvenu d’elle, mais aussi d’une pieuvre capable de se transformer en un ciel étoilé pour tromper ses ennemis. Un frémissement dans les flûtes, qui se fond dans l’orchestre, marque le début. Bientôt, on entend une succession harmonieuse dans les voix des vents, qui rappelle fortement la pratique de la musique de film. Les acteurs principaux sont toujours les cors, qui se détachent de manière bien audible de l’orchestre.

Ce qui est également frappant et caractéristique, c’est que l’ensemble de l’instrumentarium agit presque en permanence. Des coups de cloches, des violons scintillants et une interruption brutale des harpes – que l’on entendra encore plusieurs fois – se succèdent. Mais c’est à nouveau une mélodie des vents qui se détache du reste de l’action. Après un son orchestral majestueux et des cordes sphériques, le frémissement que l’on entendait au début retentit à nouveau. Les cuivres et les bois ont chacun leur rôle à jouer, et les instruments ne cessent de résonner. Mais un petit solo de violon peut également se présenter, soutenu par de petites touches de harpe. La beauté dans laquelle on se laisse volontiers aller est sans cesse interrompue par des sons plus durs et inattendus, comme ceux d’un xylophone, d’un vibraphone ou de harpes. Le fait qu’une sorte d’état de suspension soit décrit à la fin s’intègre bien et logiquement à ce que l’on a entendu auparavant. Une belle œuvre qui donne envie d’entendre davantage de la compositrice.

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Karl Heinz Schütz en soliste à la flûte (photo : ORF musikprotokoll/Martin Gross)

Le deuxième point du programme « making of – intimacy » est signé Clemens Gadenstätter et a été écrit pour flûte solo et orchestre. Karl-Heinz Schütz a pris en charge la partie soliste exigeante et a exploité une large palette sonore de son instrument. L’ensemble de l’orchestre débute simultanément dans un ductus agité et rapide. La flûte, qui se fait entendre peu après, est rapidement utilisée par le grand appareil sonore pour y répondre. Ce jeu entre prétexte et réaction se répétera bientôt à l’inverse, après un interlude sauvage sans flûte.

Autant le début était intense, autant un solo de flûte s’installe peu après de manière mélancolique, dont la plainte est à nouveau reprise par l’ensemble de l’instrumentarium. L’atmosphère de ce qui était encore une tristesse se transforme en une révolte. Des coups et des cuivres bruyants, un rugissement et des tambours puissants marquent cette partie. Comme précédemment, l’action change complètement et, sur des chuchotements, la flûte douce reste longtemps sur une note. Ce long passage calme est également marqué par un solo délicat, que le flûtiste accompagne également vocalement pendant qu’il joue. Pendant ce temps, l’orchestre agit comme un animal endormi, réagissant à la dynamique d’une intervention de Schütz en anche battante et à ses courses. La densification sonore qui s’ensuit, avec un engagement complet de l’orchestre, se transforme en un état de rugissement bouleversant, comme celui d’un animal blessé par la chasse. C’est maintenant à la flûte de prendre le relais de l’orchestre dans ses montées et descentes, puis de lui laisser à nouveau la scène. Des cloches, des cymbales, des cuivres rugissants, des coups violents et des battements marquent ce passage violent, qui est à nouveau suivi d’un long passage silencieux avec des souffles vocaux. Comme précédemment, l’action s’enflamme à nouveau pour se calmer rapidement. On entend à présent des voix, des cuivres sombres et une flûte vacillante – jusqu’à ce que tout se transforme en un long passage calme qui se dissipe lentement. C’est un flux et un reflux, une plainte et un rugissement émotionnels tout autant qu’un recueillement mélancolique, transformé en langage musical de Gadenstätter. Dans cette œuvre, les émotions audibles occupent la première place. Des émotions que le public peut interpréter de manière similaire, mais pas identique, et qui laissent à chacun et chacune une marge d’interprétation suffisante.

strange bird – no longer navigating by a star » de Clara Iannotta, décrit également des états émotionnels dans lesquels est intégrée la métaphore d’un oiseau étrange, battant des ailes, « dont le tournoiement sans but est la source des cris qui résonnent sur une place vide » – selon la compositrice. Son matériel sonore n’est pas toujours définissable avec précision, une guitare électrique est souvent utilisée comme instrument rythmique, des archets de violon effleurent des cymbales, des bourdonnements de cuivres profonds marquent une impression générale lugubre. On entend régulièrement des gazouillis excités et des états dans lesquels on a l’impression que le temps s’est arrêté. La commande de composition 2023 d’Emil Breisach s’achève sur des cris d’oiseaux et laisse l’impression d’avoir brièvement contemplé un abîme psychique à l’aide de la musique.

La série de concerts s’est terminée par « Scorching Scherzo », un concerto pour piano de Bernhard Gander. L’œuvre est typiquement « Gander » : Intense, pulsant, fouettant, furieux. Et il laisse le piano dans son état d’origine, sans préparation ni possibilités d’extension rythmique. Celles-ci ne sont d’ailleurs pas nécessaires, tant la partie qui lui est dévolue est en grande partie furieuse.

Jonas Ahonen a besoin de force et d’endurance pour opposer à l’orchestre les successions rapides d’accords de manière à ce qu’ils s’arrêtent à la pointe du son et ne soient pas étouffés par les instruments. Un rythme jazzy fouettant, accompagné de timbales et de basses au début, ainsi que des courses ascendantes et répétitives qui se terminent par des accords de basse, accrochent immédiatement l’oreille. La sauvagerie, qui a déjà montré son visage au début, revient sans cesse et ne se désagrège à un moment donné que dans la partie solo du piano. Celui-ci reprend les courses ascendantes des vents que l’on entendait au début, jusqu’à ce que l’orchestre revienne en force.

Un nouveau solo avec de brèves poussées laisse apparaître une structure harmonique du 19e siècle, à nouveau interrompue par de brèves poussées, mais avec une mélodie intercalée. Les cordes s’y ajoutent de biais, avec un timbre néanmoins suave, et connaissent avec les violoncelles et les timbales endiablées un nouveau départ vers une partie furieuse. Un rythme endiablé, précipité et essoufflé s’empare de l’orchestre et s’abat sur le piano, qui n’est plus guère audible. L’action se déroule dans une partie marquée par les basses, les cuivres profonds et les bois, qui constituerait à elle seule une œuvre impressionnante. Vers la fin de la composition, des successions d’accords sauvages avec des courses identiques, soutenues à nouveau par l’ensemble de l’orchestre, constituent un autre point culminant qui se termine abruptement et débouche sur une partie variée et tendre portée par le piano et les violons. Ce ne sont plus des spirales ascendantes, mais des spirales descendantes dans un ton majeur clair qui apportent une nouvelle couleur à l’action. L’idée de faire résonner à nouveau dans le final les courses que l’on entendait au début dans la basse du piano, mais cette fois dans l’aigu, constitue une magnifique parenthèse sur laquelle se termine le concert.

C’est la combinaison de la sauvagerie entraînante de la partie de piano techniquement exigeante et des citations de la littérature romantique pour piano qui a extrêmement enthousiasmé le public. A quatre reprises, il a fait revenir Gander, Alsop et Ahonen sur scène pour les acclamer. Un fait qui constitue une exception absolue dans les représentations de musique contemporaine.

Avec cette soirée, le protocole musical a offert une opulence sonore qui a également démontré que les compositions pour grand orchestre n’ont rien perdu de leur fascination. Pour le plus grand plaisir de l’auditoire.

Le son de la nature dans la salle de concert

Le son de la nature dans la salle de concert

Le protocole musical a présenté au public de Steirischer Herbst un programme tellement dense par soirée que de nombreuses personnes ont quitté le lieu de représentation à peu près à la mi-temps. Cela est peut-être moins dû à un manque d’intérêt qu’à un trop-plein de choses entendues et vues. A cela s’ajoute le fait que la salle List, dans laquelle se sont déroulées trois soirées consécutives, n’est desservie par le tramway en direction du centre-ville que jusqu’à 23h15. Malheureusement, de nombreux spectateurs n’ont pas eu l’occasion d’écouter ce qui aurait pu être entendu. Comme ce soir-là l' »Aria » de Beat Furrer, à la représentation duquel nous n’avons pas pu assister.

La soirée a été brillamment ouverte par le « Piano Concerto » de Kristine Tjøgersen. Au piano, Ellen Ugelvik, n’a pas fait résonner le piano à partir des touches. Au contraire, au fur et à mesure que l’orchestre jouait, elle a intégré dans la caisse de résonance une forêt de petits arbres, comme on en voit dans les décors des trains miniatures. La compositrice est fascinée par la communication des arbres, qui se déroule de manière invisible sous terre, et a ainsi trouvé une transposition adéquate de la visualisation. Outre les sons, ce sont surtout des bruits, comme des crépitements et des crépitements, mais aussi des bruissements, des bruits de vent ou le bourdonnement des abeilles, que l’on pouvait entendre à côté de lignes de basse répétitives et descendantes, mais aussi de petits fragments de mélodies. Une fois la construction de la forêt artificielle terminée, la performeuse s’est occupée d’un enregistrement vidéo en direct qui a été projeté sur le grand écran derrière l’orchestre. La tâche que la compositrice s’était fixée pour ce concert, à savoir donner une voix à la nature dans la salle de concert, a été effectivement réalisée par elle de manière audible et visible dans ce setting.

Madli Marje Gildemann s’intéresse aux oiseaux nocturnes et a essayé de se mettre à la place de ces animaux en les observant. Dans sa composition « Nocturnal Migrants », elle produit un son flottant qui s’enfle et se dégonfle et se répète dans une exécution similaire, mais pas identique. Un gazouillement affolé trahit un malheur à un moment de la composition, tout comme une partie de couleur très sombre qui apparaît dans la basse du piano après les sons de peur des oiseaux. Le ton général est dominé par une excitation, une tension permanente qui ne s’apaise que lorsque la musique s’éteint à la fin de la composition. Son travail porte sur la force d’attraction de la lumière exercée sur les oiseaux, qui peut finalement avoir des conséquences fatales. Mais elle décrit elle-même ce phénomène « comme une métaphore des comportements impulsifs et compulsifs des gens… qui ont peu d’idée des motifs qui les animent ».

« if left to soar on winds wings » de Karen Power a été créé, outre la partie live du Klangforum, à partir de sons enregistrés que la compositrice a collectés tout autour du globe. Elle se rend de préférence dans des endroits où il y a peu de monde, mais constate à chaque fois qu’il n’y a plus d’endroits dans le monde où l’homme n’est pas déjà passé et n’a pas laissé de traces. Ce que l’on entend partout comme une constante, c’est le vent – même si c’est sous différentes formes. C’est d’ailleurs ce phénomène naturel que l’on entend dès le début de leur composition. Des bruits de stridulation et des chants d’oiseaux apparaissent également dans son œuvre, mais l’élément déterminant reste le vent, auquel on peut même attribuer la fonction de basse continue. « Comme beaucoup de mes œuvres, « …if left to soar on winds wings… » invite chaque performeur et spectateur à écouter tous les sons simplement comme une musique que nous n’avons jamais entendue auparavant. Je nous demande à tous d’ouvrir nos oreilles et de nous reconnecter à notre environnement, comme quelque chose qui nous unit plutôt que de nous diviser, et de reconsidérer notre pouvoir et notre influence sur tout ce qui nous entoure ». – déclare Karen Power dans sa déclaration, que l’on peut lire dans le programme.

La représentation d' »Exercises in Estrangement II – L’animal que donc je suis » de Sandeep Bhagwati a fait preuve d’originalité.

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« Exercises in Estrangement II – L’animal que donc je suis » (photo : ORF musikprotokoll/Martin Gross)

L’ensemble a ainsi pu se déplacer sur scène de manière chorégraphique et s’est retrouvé dans des constellations toujours nouvelles. Agenouillés au début, puis marchant ou tournant autour de leur propre axe, les musiciens ont offert dans leur action non seulement une nourriture pour l’oreille, mais aussi pour les yeux. Le point de départ de l’œuvre était un livre de Jacques Derrida, dans lequel il explore les liens étroits entre l’animal et l’homme. Les musiciens se sont glissés à plusieurs reprises dans le rôle de différents animaux et ont communiqué entre eux en permanence. Associés à des voix enregistrées, dont le texte est parfois volontairement incompréhensible, il en résulte un réseau animal, humain et auditif dont les différentes composantes ne constituent plus un centre de gravité. Des chants d’oiseaux, des rugissements d’éléphants ou des grésillements de cigales, c’est tout cela que l’on a pu entendre grâce à la mise en œuvre d’instruments individuels mais aussi à l’utilisation active de la voix.

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Schallfeld Ensemble (Foto: ORF musikprotokoll/Martin Gross)

En deuxième partie de soirée, l’ensemble Schallfeld a interprété « My fake plastic love » de Sehyung Kim, Dune de Carlo Elia Praderio et Katharina Klements « Monde II ». Cette dernière œuvre a connu une sorte de « pratique d’exécution historique » avec deux machines de mélange remises en état, puisque ces deux machines avaient déjà été utilisées dans un travail antérieur de Klement.

En raison de grandes similitudes, ou plutôt de grandes parentés dans certaines parties des compositions, on peut qualifier la programmation de cette suite de concerts de très cohérente en soi. Toutes étaient caractérisées par des concentrations de sons récurrentes ainsi que par une diminution opposée. Sehyung Kim travaille avec les timbres les plus divers des instruments et, vers la fin, avec des intervalles de plus en plus étroits. La composition de Praderio est minimaliste, contemplative et sombre dans son ensemble. Klement utilise des sons de cloches fréquents qui contrastent avec les bruits des machines de mixage. Des inserts électroniques élargissent son univers sonore, qui se caractérise également par des passages récurrents.

Une soirée de concert remplie jusqu’à la corde, qui a offert de la nouveauté, mais aussi la possibilité de faire des comparaisons entre certaines compositions.

Le son spatial dans le « Dom im Berg »

Le son spatial dans le « Dom im Berg »

Le programme – quatre morceaux plus trois autres provenant de candidatures pour la Student 3D Audio Competion – a montré de manière exemplaire ce qui a également été demandé au public les soirs suivants : Persévérance. De 19 heures à 22h30, avec de courtes pauses, les expériences sonores proposées ont attiré un public international.

Le coup d’envoi a été donné par « Organa Quadrupla » de Heinali qui, avec son synthétiseur modulaire, a utilisé les possibilités sonores grandioses de l’installation Ambisonics du Dôme dans la montagne. Fasciné par les structures polyphoniques telles qu’elles étaient utilisées à la Renaissance, il a mis en place sa composition de manière similaire. Il a produit le son de vieilles orgues, de flûtes alto ou d’une cornemuse et a accompagné les lignes mélodiques courantes d’une sorte de basse continue. Après une intro, encore entièrement liée à un décor sonore historique, il devient audible que ce sont des sons électroniques qui sont produits ici. L’augmentation du nombre de voix va jusqu’à créer un son de cathédrale, dans lequel un flux et reflux de sons est caractéristique. Dans la dernière partie de l’œuvre, un rythme est habilement déposé dans la basse, qui se perd vers la fin. Une entrée en matière du festival réussie sur le plan sonore, qui ne rompt pas trop avec nos habitudes d’écoute et qui a donc été très appréciée du public.

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« Organa Quadrupla » – Dom im Berg (Foto: ORF musikprotokoll/Martin Gross)

Le contraste était saisissant avec l’œuvre collective « forest Floodlights » de la Croate Manja Ristić, ainsi que Abby Lee Tee et Franziska Thurner, toutes deux autrichiennes. Elles ont reçu une commande de composition dans le cadre d’une résidence d’artiste SHAPE+ et ont exploré pour cela le son d’une région isolée du Mühlviertel. SHAPE+ est la plateforme pour de nouveaux projets passionnants dans le domaine de la musique et de l’art audiovisuel du réseau de festivals ICAS, créé en 2014 par musikprotokoll en collaboration avec quinze autres festivals. https://shapeplatform.eu/ Elle est soutenue par le programme « Creative Europe » de l’Union européenne. L’une des bases à partir desquelles le trio travaillait était le Garage Drushba, autrefois créé par Karl Katzinger. Jusqu’à sa mort en 2021, c’était un lieu de rencontre pour des événements culturels insolites dans le nowhere. Depuis ce lieu, ils ont exploré la région et créé un journal artistique visuel et auditif. La richesse de l’eau du paysage, l’isolement, les anciens décalages du garage Drushba, mais aussi la beauté de la nature ont été capturés. La combinaison d’enregistrements sonores et de prises de son en direct a permis de réaliser une performance cohérente qui nous a plongés au cœur de la frontière nord de l’Autriche. La superposition de plusieurs enregistrements vidéo a conféré à la réalisation visuelle une composante esthétique extraordinaire. Les sons de la nature, tels que le chant des oiseaux, le bruit de l’eau ou le bruissement des feuilles sèches lorsqu’on marche dessus, alternaient avec des sons électroniques, mais aussi des sons live d’un violon et des cris d’animaux. « forest floddlights » est un travail non seulement très reconnaissable, mais qui donne aussi envie de le regarder et de l’écouter plus d’une fois.

L’artiste d’origine taïwanaise Sabiwa a présenté avec son partenaire Nathan L. « Island N. 16 – Memories of future Landscapes ». Elle décrit cette œuvre comme un lieu de mémoire qu’elle a créé pendant la pandémie.

Outre une installation vidéo variée, qui alterne entre des prises de vue réelles, des prises de vue dans lesquelles le matériel réel a été modifié et des prises de vue purement générées par ordinateur, elle a créé un réseau sonore tout aussi varié. Des enregistrements se mêlent à des prises de son en direct. Des poissons dans un aquarium, visibles sur la vidéo, des fleurs fraîches dans un vase au sol sur la scène, dans lequel sont plantés des tuyaux d’arrosage à travers lesquels on souffle de l’air, des sons de flûte, ceux d’un saxophone détourné et des chants, tout cela forme un kaléidoscope à la fois visuel et auditif, qui change constamment de forme, de couleur et de son. Au début, la vidéo reste entièrement ancrée dans le cliché asiatique des pratiques de bondage, mais elle passe rapidement à des constellations de couleurs purement animées par ordinateur, puis à des impressions de paysages et de villes et à des gros plans de papillons qui se révèlent ou de guêpes qui dévorent. Le produit global parle un langage sonore juvénile avec une grande densité de bruits, dans lequel des passages virent plus tard au psychédélisme. « Island N. 16 – Memories of future Landscapes » est un bon exemple de la fluidité des différentes sources musicales, alternant entre les domaines de la musique électronique et de la musique de variété, qui ne peuvent donc pas être maintenues telles quelles.

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« OSWYC » – Dom im Berg (Foto: ORF musikprotokoll/Martin Gross)

Dans OSWYC – c’est le titre de la composition de Robert Schwarz – il réunit des sons artificiels et naturels, mais qui ne peuvent plus être distingués les uns des autres. Il fait entrer le public dans son œuvre avec des grillons, des bruits de vent et un son vaporeux qui traverse la pièce. Des grincements de porte, un bruit semblable à celui d’une boule de roulette qui rebondit et un gazouilleur accompagné d’une basse sourde se répètent avec de légères modifications. Un ronflement, un murmure, un glouglou et un cliquetis sont interrompus par un crépitement, peu après on croit entendre des bruits d’insectes. Ce sont toujours des bruits de la nature que l’on croit percevoir, toujours des sons et des bruits qui se déplacent à travers la pièce et qui simulent ce qui n’a été réalisé qu’électroniquement.

La soirée s’est terminée par les contributions de trois étudiants qui se sont portés candidats à la ‘Student 3D Audio Competition’. Tous les trois ont montré à quel point ils sont impliqués dans le domaine de la perception de l’espace et du corps et ont démontré une fois de plus les possibilités d’écoute époustouflantes que l’installation sonore du Dom im Berg est capable de restituer.

Julius Bürger – chassé et redécouvert I Un compositeur viennois de retour

Julius Bürger – chassé et redécouvert I Un compositeur viennois de retour

Le RSO, sous la direction de Gottfried Rabl, a donné la première autrichienne d’œuvres de ORF RadioKulturhaus le 18 août 2023 dans la grande salle de diffusion de Julius Bürger (1897-1995). Et cela 18 ans après que le compositeur juif soit décédé à New York à l’âge de 98 ans.

Portrait Buerger vor Klavier Brian Coats

Julius Bürger (photo : Brian Coats)

Si les morceaux ont pu être entendus, c’est grâce à l’action intelligente de Ronald S. Pohl, un avocat new-yorkais spécialisé dans les successions. Il avait été engagé par Bürger en 1989 pour gérer l’héritage de sa femme Rose, décédée peu de temps auparavant, et pour que la majeure partie de l’argent soit versée à de jeunes musiciens israéliens. Ne sachant pas encore que Julius Bürger avait une œuvre de composition remarquable à son actif, Pohl lui a demandé si, en raison de son âge avancé, il ne voulait pas également s’occuper de sa succession à temps, ce qui s’est avéré être une aubaine. Bürger, né et élevé à Vienne, avait déménagé à Berlin dans sa jeunesse avec des camarades d’études et son professeur de composition Franz Schreker, et a ensuite fait la navette entre Londres, Paris, Berlin et Vienne. Mais l’invasion de l’Autriche par Hitler l’a tellement alarmé qu’il a pu émigrer en Amérique avec sa femme à temps. Là-bas, il obtint la nationalité américaine et travailla au Metropolitan Opera, mais aussi pour des stations de radio et de télévision en tant que chef d’orchestre, arrangeur et compositeur sur commande, sans pour autant renoncer complètement à sa propre activité de composition indépendante. Heureusement, Bürger avait trouvé en Pohl un homme d’action. Il a fait tout ce qui était en son pouvoir pour que son client puisse entendre à nouveau son concerto pour violoncelle de 1932, créé en 1952 et qui n’avait pas été joué depuis 1991. Les efforts de Pohl ont été couronnés de succès. Après avoir été joué aux Etats-Unis, il a également été joué en Israël par les musiciens qui avaient reçu des bourses de Rose Bürger. Ce n’est qu’après avoir établi le contact avec Gerold Gruber, le directeur du Centre Exilarte pour la musique persécutée du mdw et que l’héritage musical de Julius Bürger a été transféré à Vienne, qu’il a été possible d’organiser un concert avec des œuvres de ce dernier ici aussi. Si Pohl n’avait pas rencontré le compositeur, on peut supposer avec beaucoup de certitude que ses œuvres, rassemblées dans un petit meuble, auraient été jetées après sa mort lors de l’évacuation de son appartement.

Le RSO Wien joue Julius Bürger.

Photo: Benjamin Pieber – Herzog Media

Adagio pour orchestre à cordes

L’éventail des œuvres qui ont résonné à Vienne était riche. L’ouverture était un Adagio pour orchestre à cordes, datant de 1978. C’était la seule œuvre qui avait déjà été jouée en Autriche. Elle s’écoule doucement, s’assombrit brièvement à plusieurs reprises pour révéler des éléments plus dramatiques. A certains endroits, les basses de violon poussent littéralement les cordes à des moments de tension, mais elles sont toujours vaincues par celles-ci. Ils parviennent finalement à laisser derrière eux le côté sauvage, le mal, presque inexprimable, qui se fait entendre à plusieurs reprises, et à terminer l’œuvre sur une note douce et agréable. Le choix de Anna Litvinenko pour la partie solo du concerto pour violoncelle qui a été joué ensuite était excellent. Ce qui était impressionnant, ce n’était pas seulement les passages techniquement difficiles, maîtrisés avec brio, mais surtout l’intériorité et la sensibilité de son solo dans le dernier mouvement. La technique n’est qu’un élément d’une performance réussie, mais remplir l’œuvre d’âme fait la différence que Litvinenko a su montrer au public. Après une introduction calme, les vents se forment et libèrent un rythme vibrant que l’orchestre et le violoncelle reprennent. Bientôt, l’action musicale devient une danse légère et se développe en un flux lent dans lequel les pulsations rythmiques se répètent. Le petit thème apparaît à plusieurs reprises à travers l’orchestre, couvrant à peine trois mesures. Bürger laisse le mouvement se terminer uniquement par les vents, soutenus par le violoncelle. Le compositeur a dédié le deuxième mouvement à sa mère, qui a été tuée par les nazis lors de la marche vers Auschwitz. Dès le début, une longue marche traînante est entonnée et le thème du violoncelle est bientôt repris par le hautbois. Les cordes interviennent élégamment et sont portées par l’instrument solo qui poursuit le thème. Le ductus traînant se transforme peu à peu en un scintillement général et une transition du thème vers un scénario éclairci avec un accompagnement de harpe. L’attitude apaisante et charmante ne dure pas longtemps, bientôt le son s’assombrit à nouveau. Il subit une forte concentration et une longue séquence de cuivres avec des disharmonies qui réveillent l’orchestre et l’incitent à une action sauvage et sombre. Le violoncelle obtient alors un solo que l’on peut décrire comme sans illusion. Il n’y a plus aucune trace de ce passage apaisé, affirmant la vie, avec accompagnement de harpe, on a plutôt l’impression que le violoncelle a cédé aux voix de la violence sauvage. Logiquement, il s’ensuit une conclusion dans laquelle l’orchestre, comme au début, reproduit la marche traînante. Connaissant le destin de la mère de Bürger, on peut sentir quel dernier moment de sa vie il a capturé ici musicalement. Dans le rapide troisième mouvement, le violoncelle réagit de manière presque chambriste aux différents solos instrumentaux. Des passages apaisants soutenus par les cordes, souvent à l’unisson, s’opposent régulièrement aux passages animés précédents, qui reprennent ensuite de la vitesse avec l’aide des vents en alternance avec le violoncelle. La fin est un solo de violoncelle avec de belles colorations dynamiques différenciées, suivi d’une finale furieuse des cuivres et des timbales. A juste titre, l’orchestre et la soliste ont été longuement applaudis pour leur performance.

Chansons avec accompagnement symphonique

Les deux chansons suivantes avec accompagnement symphonique ont été interprétées par Matija Meić. « Légende » d’après un texte de Christian Morgenstern et « Silence de la nuit » d’après Gottfried Keller, ont permis des comparaisons musicales avec Gustav Mahler. Presque chaque ligne, chaque humeur, chaque description d’un paysage, d’un état d’âme ou d’une action reçoit sa propre expression musicale chez Bürger. Que Jésus, avant d’entrer dans le jardin de Gethsémani, se mette à danser avec une jeune femme de manière inattendue et que ces pas exubérants deviennent audibles, que le ressac d’une mer chez Gottfried Keller déclenche des remous musicaux dans le corps sonore, la musique et les mots se soutiennent mutuellement de manière très artistique. Le baryton de Meić sonnait plein, chaud et très mûr, sans toutefois manquer d’une prononciation claire. Il a facilement réussi à laisser le large soutien symphonique, un défi pour le chanteur dans ces œuvres, en tant que tel et à s’impliquer vocalement comme un instrument solo. Les deux morceaux peuvent être caractérisés comme de petits poèmes symphoniques, mais dotés d’une force épique, utilisant un grand instrumentarium, ce qui les rend extraordinairement passionnants. On aimerait en entendre davantage.

Le RSO Wien joue Julius Bürger. Ici sur la photo le baryton Matija Meić

Photo : Benjamin Pieber – Herzog Media

« Symphonie de l’Est »

Le concert s’est terminé par la « Eastern Symphony » de 1931. Conçue en 3 mouvements, elle s’ouvre sur un thème alerte aux vents auquel répondent les cordes. Des souvenirs de Gershwin, son aîné d’un an, sont évoqués, principalement par les rythmes très accentués qui changent souvent. Ce qui est frappant, comme dans les chansons précédentes, c’est que Bürger maintient presque constamment l’ensemble des instruments de l’orchestre en mouvement. Il n’y a guère de passage où les musiciens ne sont pas sollicités en même temps, ce qui s’avère extrêmement attrayant. Les cymbales, les timbales et les tambours, tout comme les vents, donnent le ton dominant et permettent au mouvement d’être vécu comme hymnique et progressif. Le deuxième mouvement commence avec le hautbois, largement soutenu par l’orchestre. Les violons et les violoncelles lui répondent de telle sorte qu’une fluidité s’empare de l’ensemble du corps sonore et qu’un vaste paysage s’ouvrant peut être facilement imaginé. C’est à nouveau la harpe qui fait la transition avec la clarinette, le basson et les cordes, ainsi que les bois légers. C’est cette migration instrumentale du thème et en même temps la continuation de celui-ci qui rend ce mouvement si intéressant. Le ductus calme est maintenu et la fin s’achève en conséquence. Comme il pourrait en être autrement, le mouvement final commence furieusement dans tout l’orchestre avec une course effrénée. Les trompettes et les tambours donnent un rythme rapide qui ne s’apaise qu’avec la harpe et le hautbois et le thème chanté par les cordes. Maintenant, ce sont les flûtes qui complètent cette description du paysage. Comme si l’on suivait une rivière avec de petits tourbillons d’eau, les violons, tenus par la clarinette, continuent à se vriller de manière vivante et passent le relais aux flûtes. Avec une dernière intervention massive de l’orchestre, le thème, présenté une fois de plus, termine la belle œuvre. La caractéristique de la musique de Bürger est claire et peut être clairement nommée. En tant que compositeur, il se situe esthétiquement entre le 19ème et le 20ème siècle, auquel il a emprunté non seulement le courage de créer des flous sonores, mais aussi des rythmes jusqu’alors inhabituels et une instrumentation parfois nouvelle. Mais sa technique de composition est toujours claire, les structures sont bien reconnaissables et – c’est ce qui caractérise le plus les œuvres symphoniques de Bürger – il séduit par une richesse de couleurs musicales par excellence. L’Autriche, et plus particulièrement Vienne, n’a pas fait amende honorable avec ce concert. Il n’y en a pas. Mais la déclaration qui a été faite est claire et était plus que nécessaire. S’occuper de l’héritage des compositeurs et compositrices expulsés est une nécessité absolue. Le travail du centre Exilarte de mdw devrait être beaucoup plus connu du public. Une prise de conscience plus large de ce chapitre peu glorieux dans le cadre de l’histoire de la musique peut au moins contribuer à ce que le travail des exilés ne soit pas exposé à l’oubli. Nous, qui avons la chance d’être des enfants de la postérité, pouvons soit participer activement à cet événement, soit – et cela ne doit pas être sous-estimé – prendre d’assaut des concerts comme celui-ci et remplir les salles jusqu’à la dernière place. Nous manifestons ainsi notre intérêt et donnons à la musique ce qui la maintient en vie et lui revient de droit : notre attention sans partage.

de gauche à droite professeur Gerold Gruber, Anna Litvinenko, Ronald S. Pohl, Gottfried Rabl

de gauche à droite professeur Gerold Gruber, Josipa Bainac Hausknecht, Ronald S. Pohl, Gottfried Rabl (photo : Ronald Pohl)

Crossover E-Jazz – c’est cela?

Crossover E-Jazz – c’est cela?

16.11 Elastic Jargon © ABPHOLe 16 novembre dernier le Jazzdor Festival a réservé un autre point fort au public venu au «Pôle-Sud» à Strasbourg: Maurice Horsthuis et Elastic Jargon.
Dès que l’ensemble entra en scène il était clair que l’on allait entendre un concert de jazz d’un autre genre. La composition de l’ensemble est atypique pour une formation de jazz: 2 altos, 3 violons, un violoncelle, une contrebasse et une guitare électrique. Cette configuration ressemble davantage à un septette d’instruments à cordes revisité, avec guitare, qu’à une formation de jazz. Néanmoins, ce sont les ingrédients dont Horsthuis, altiste et leader de la formation, a besoin pour répandre du bonheur. Le premier morceau déjà révèle son point fort: faire de trois morceaux de musique totalement différents un nouveau morceau. Une petite danse populaire, un morceau de tango, un peu de jazz et quelques harmonies grinçantes et le tour est joué : grâce aux merveilleux arrangements d’Horsthuis, tous ces éléments se rejoignent pour former une nouvelle composition admirable.
La façon dont le compositeur organise la rencontre entre la tradition d’un quartette d’instruments à cordes et cette nouvelle formation afin d’en faire ressortir quelque chose de totalement nouveau, est tout bonnement géniale.

Des mélodies semblables à celles que l’on connaît de la musique classique, flattent notre ouïe. Quel que soit le thème musical proposé par les musiciens, sa mélodie passe par l’oreille pour aller se nicher tout droit dans l’âme. Elle s’y dissout, se confond avec d’autres éléments rythmiques très concis, pour finalement être à nouveau perçu par l’oreille comme une nouvelle création de jazz.
Des introductions tendres en pizzicato se dissolvent par des sonorités expérimentales, tout semble familier et en même temps étrange.
C’est précisément cette ambigüité qui rend cette musique aussi séduisante, on pourrait même dire, qu’elle génère une sorte d’addiction. Des violons sanglotants, un alto qui chante, des altistes qui utilisent leur instrument de façon magistrale à la manière du belcanto et une guitare électrique qui swingue : tout ceci bascule subitement, une sonorité particulière naît: C’est comme si aucun son harmonieux ne pourrait plus jamais sortir d’aucun de ces instruments mais cette disharmonie reste passionnante.
Les morceaux interprétés sont tous totalement différents. Malgré cela, on reconnaît immédiatement le style de l’ensemble New Yorkais «Elastic Jargon» .
La créativité sensuelle exprimée par cet ensemble est tout simplement renversante.

Les applaudissements nourris sont destinés à Jasper Clercq, Jeffrey Buinsma, Vera van der Bie, Roderick Krauss, Nina Hitz, Brice Soniano et Wick Hijmans.

Texte traduit de l’allemand par Andrea Isker

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