Au point de rupture entre l’ancien et le nouveau

Au point de rupture entre l’ancien et le nouveau

Des fauteuils en tubes d’acier avec des tresses en plastique sont alignés sur la scène du hall E du quartier des musées, comme s’ils attendaient un public. Sur le mur de droite se trouvent des constructions de lampes massives à plusieurs bras, équipées de lustres en cristal datant des 200 dernières années. Du lustre Biedermeier à une variante design sphérique de nos jours, tout est représenté. Tels de lourds fruits suspendus à des branches artificielles, ils attirent également l’attention sur le fait que la domination du domaine russe où se déroule « la Cerisaie » d’Anton Tchekhov a duré plusieurs générations.

Au fond de la scène, à droite, un petit groupe de personnes se rassemble. Il s’agit de la troupe du metteur en scène Tiago Rodrigues, qui a convoqué les acteurs et actrices de différents pays européens pour sa mise en scène du classique de la scène russe.  « C’est la première fois que je choisis la troupe pour interpréter des rôles très précis », a expliqué le futur directeur du festival d’Avignon lors de la discussion avec le public qui a suivi la première. La première représentation a eu lieu en 2021 à Avignon, le Wiener Festwochen est l’un des dix autres partenaires de coopération qui présenteront encore la pièce. Les photos présentées ici proviennent de la mise en scène d’Avignon. La scène du Museumsquartier était toutefois totalement différente, non seulement du point de vue de l’éclairage, mais aussi et surtout en raison de l’ambiance moderne. Dans ses travaux précédents, dont trois ont déjà été présentés au Festival de Vienne ces dernières années, le metteur en scène portugais avait développé les rôles en collaboration avec la troupe. Au départ, il voulait voir comment il pouvait traiter Tchekhov, mais il s’est vite rendu compte que pas une seule phrase ne devait être différente de celle que l’écrivain avait formulée. « Tout est parfait dans ce texte, il serait présomptueux d’y ajouter ou d’en retrancher quelque chose », a-t-il ajouté.

En partant de son personnage favori, la maîtresse de maison Lioubov, pour laquelle il a réussi à convaincre Isabelle Huppert, il a formé autour d’elle une équipe diverse avec quelques People of Color. Selon Rodrigues, cela n’était toutefois pas lié à une idée dramaturgique. Ce n’est qu’au cours des répétitions que lui et la troupe se sont rendu compte que cela ouvrait une fenêtre d’interprétation particulière à un moment donné.

Le décor de Fernando Ribeiro reste en place tout au long de la pièce, mais il est modifié et déplacé au fil du temps. Bientôt, les chaises sont rassemblées en un grand tas, symbole du changement qui s’opère dans le manoir autour duquel se trouve la belle cerisaie. Dans cette pièce, Tchekhov décrit la chute de l’époque féodale avec son servage et l’avènement d’un nouveau système dans lequel ceux qui ont de la chance et des compétences peuvent se libérer de la pauvreté. Ce bouleversement, qui a complètement modifié le système social, est efficacement mis en évidence par Ribeiro. A la fin, les grandes constructions de lampes ne se trouveront plus le long de la scène à droite, mais à gauche, et on ne verra plus de chaise au milieu de celle-ci. Le pouvoir qui, après le règne des tsars, s’est déplacé en Russie de la droite politique vers la gauche et, en même temps, le vide d’un ordre social qu’il fallait d’abord combler – tout cela résonne de manière grandiose dans ce décor.

Au début de la soirée, Adama Diop introduit toutefois la pièce de Tchekhov en quelques mots et raconte brièvement sa genèse. Il incarne ensuite avec brio le rôle de Lopakhine, l’homme dont les parents et les grands-parents étaient encore serfs au domaine de Lioubov. Devenu riche, c’est lui qui finira par l’acheter aux enchères. La rupture du « quatrième mur » n’est pas seulement perceptible au début du spectacle. De nombreux monologues sont adressés par les actrices et les acteurs non pas à leur interlocuteur personnel, mais directement au public. Avant le début du quatrième acte, Diop le fait encore une fois pour faire remarquer que la pièce aurait pu s’arrêter là – après la vente aux enchères du domaine. En fait, Tchekhov n’a ajouté le dernier acte que plus tard, car il ne voulait pas que « La Cerisaie » soit un drame, mais une tragi-comédie. Ainsi, après le grand crash financier, mais aussi psychique, qui a touché toutes les personnes ayant été en relation avec le domaine, il a pacifié l’action par une scène d’adieu. L’avenir de tous les participants est certes incertain, mais tous partent néanmoins pleins d’espoir et se dispersent aux quatre vents. Seuls Lioubov, qui doit se rendre compte que l’époque insouciante où elle dépensait de l’argent est révolue une fois pour toutes pour elle et que la maison de ses parents est perdue, et le vieux serviteur Firs, qui a perdu sa raison de vivre, le service, et qui reste désormais seul, sont les seuls à ne plus avoir de lueur d’espoir.

Tiago Rodrigues ajoute à l’action un autre niveau, monumental et musical, avec lequel il sépare habilement les différentes scènes et les accompagne en partie. Manuela Azevedo et Hélder Gonçales rockent non seulement la scène mais aussi la salle avec un piano de scène, des sons de batterie et une guitare électrique, déplaçant ainsi en même temps le récit dans le présent. Le metteur en scène place les personnages à la limite de la commedia dell’arte. Lorsqu’ils sont heureux, ils sont déchaînés, sautent, bondissent et exultent. De grands gestes, mais aussi des moments forts et émotionnels, qu’Isabelle Huppert en particulier sait apporter avec brio, caractérisent ce jeu. Il est fascinant de voir comment elle parvient à passer en un instant d’une femme survoltée et pleine de vie à une femme profondément endeuillée par la mort de son fils. Cette émotion fortement ressentie se transmet instantanément au public et met en même temps en évidence le grand talent d’actrice de Huppert.

Elle n’est pas en reste avec Marcel Bozonnet, qui joue le vieux serviteur Firs. Habillé comme Freddie Frinton en tant que domestique dans le sketch mondialement connu « Dinner for one » et agissant également avec son habit maladroit, il touche les spectateurs de la première à la dernière apparition. Par la seule couleur de sa peau, Adama Diop crée finalement ce tournant dans l’interprétation qui permet de voir la pièce sous un angle entièrement nouveau. Tiraillé entre la colère et la rage qui résultent de l’histoire de sa famille et son nouveau rôle de propriétaire terrien qu’il n’arrive pas encore à saisir, il vit des hauts et des bas psychologiques qu’il n’est pas vraiment en mesure d’assumer. Dans sa justification furieuse de l’achat du domaine, il y a énormément de cette violence coloniale dont la plupart des anciennes colonies européennes souffrent encore aujourd’hui.

Cette approche interprétative – même si elle n’était pas prévue à l’origine – ne peut pas être ignorée dans l’examen critique de la mise en scène. Elle résonne fortement, provoquée par notre esprit contemporain, dans lequel l’art en particulier doit apporter une contribution importante à l’assimilation de ces événements criminels, inhumains et d’exploitation. Il est bien connu que ce sont toujours les lunettes des observateurs eux-mêmes qui contribuent à juger les événements de manière individuelle. Le fait que les ensembles divers soient encore l’exception dans les théâtres en Autriche contribue fortement à cette vision. Si l’approche d’une pièce peut prendre une nouvelle tournure rien qu’avec la couleur de peau d’un acteur, on peut en déduire l’ampleur du retard à rattraper en matière de diversité sur nos scènes.

Isabel Abreu, Tom Adjibi, Nadim Ahmed, Suzanne Aubert, Océane Caïraty, Alex Descas, David Geselson, Grégoire Monsaingeon ainsi qu’Alison Valence – tous, sans exception, sont cités pour l’intensité de leur interprétation.

Le respect du texte original de Tchekhov, l’ajout d’une forte composante musicale, une troupe dans laquelle chacun et chacune a été plus que convaincant et le fait que le bouleversement social présenté soit facilement transposable à notre époque font de cette mise en scène un spectacle très mémorable.

Ce texte a été traduit automatiquement avec deepl.com
 

Le cycle éternel de la vie

Le cycle éternel de la vie

Est-ce de la danse, du théâtre ou est-ce une performance ?
« Je ne fais pas de théâtre et je ne suis pas non plus chorégraphe » explique Lemi Ponifasio à chaque fois qu’on lui pose la question. Et il ajoute, qu’il aimerait amener bien plus de « cérémonies » à la scène. Des cérémonies sont célébrées chaque fois que la société subit un bouleversement, qu’intervient un événement : une naissance, le passage de l’enfance vers la vie d’adulte ou alors un décès.

Les civilisations anciennes dans lesquelles l’industrialisation s’est développée plus tardivement qu’en Europe, sont restées plus attachées aux traditions ancestrales et aux rites que ne l’est le monde occidental. Aujourd’hui elles essaient, du moins certaines d’entre elles, de maintenir ces rites et ces coutumes ou bien de les faire revivre.

Lemi Ponifasio portr3E93A4 Copyright MAU

Lemi Ponifasio (c) MAU

Lemi Ponifasio est né à Samoa. A Auckland il a grandi, est allé à l’école et y habite depuis plusieurs dizaines d’années. Il est conscient de la force qui se dégage des cérémonies. Mais il est tout aussi conscient du pouvoir et de la force évocatrice des images sur une scène. De ce fait, il faut relativiser quand il affirme que ses créations ne s’apparentent ni au théâtre ni à la danse.

En effet, ce à quoi le public a assisté le 20 mai au Festspielhaus de ST. Pölten fut un mélange de tout ce qui est évoqué plus haut : en bref, la mise en scène théâtrale de « Standing in Time », cérémonie exclusivement interprétée par des femmes.

On reconnait les travaux de Ponifasio au premier coup d’œil

L’esthétisme des œuvres de Ponifasio est unique. Son œil et sa perception sont ceux d’un sculpteur : son éclairage clair-obscur très contrasté permet non seulement de faire apparaitre comme par enchantement les acteurs des endroits les plus sombres de la scène, mais aussi de faire croire que le corps nu d’une de ses actrices était comme taillé dans la pierre, d’une grande plasticité, pas vraiment de ce monde.

Une autre caractéristiques de son travail est sa gestion du temps : Les événements sur la scène se décomposent en mouvements très lents. On est hors du temps, tout semble appartenir à un espace temps différent. La lenteur gestuelle des actrices concentre la puissance de ce qu’elles expriment, tel une loupe. Quand par exemple elles prennent une à une les pierres sur un monticule pour les aligner et couper la scène en deux, elles le font si sereinement et lentement que le spectateur a beaucoup de temps pour se laisser aller à leur propre réflexion. On pouvait deviner que ces pierres symbolisaient quelque chose de très précieux, des enfants peut-être. Impeccablement alignées, elles marquent une frontière stricte. On verra plus tard que les deux approches ne s’excluent pas. Mais il faut un peu de temps pour en prendre conscience.

Pour certaines personnes, ce ralenti est un véritable défi. D’autres s’en accommodent plus facilement. La complexité que véhicule cette mise en scène en une heure et demie, malgré sa lenteur, est fascinante.

La distribution est exclusivement indigène, le message en revanche est universel et aisément compréhensible, si on peut percevoir la succession fluide des différentes scènes avec ouverture d’esprit et sensibilité.

Il s’agit d’injustice. L’injustice que font subir les hommes aux femmes. L’une d’elles est exclue de la société et condamnée à mort, parce qu’elle a eu le courage de protester ouvertement, non seulement contre son propre calvaire, mais aussi contre celui des autres. Peut-être a-t-elle vraiment commis quelque méfait…… Le champ d’interprétation lors de cette scène où les pierres que les femmes tiennent au dessus de leurs têtes causent leur perte, est très grand. Dans les mouvements des femmes, on sent la violence. Une violence dont elles se débarrassent finalement toutes sauf une.

Standing In Time by Lemi Ponifasio Photo MAU 06

Standing in Time von Lemi Ponifasio (c) MAU

La première déesse et l’ange

Deux silhouettes sur la scène se distinguent du groupe de femmes Maori sveltes et vêtues de noir. L’une habillée en blanc incarne un être qui fascine et accompagne Ponifasio depuis des années. Il le nomme « angel of history ». C’est cet être qui chez Paul Klee (Angelus novus) déambule dans toutes les temporalités et a vu toutes les atrocités commises dans le passé. Mais chez Ponifasio, c’est aussi un porteur d’espoir. On a déjà vu ce personnage mythique dans « Tempest – without a body » : Silencieux et doux, debout au bord de la scène, il accompagne la victime pendant le jugement, sa mise à mort et au delà. Il danse aussi un Haka, une danse martiale, traditionnellement dansée par les hommes Maori.

Les yeux grands ouverts, un mince bâton en aluminium à la main, cet ange de l’horreur s’accompagne de sa voix forte, stridente. On y décèle colère, défense et menace. Des attitudes qui sont perçues par les femmes comme une protection, bien qu’annonciateur en même temps des malheurs à venir.

Ponifasio définit le deuxième personnage « extraordinaire » au sens propre du terme, comme la mère originelle. La première déesse, qui, selon les mythes polynésiens, s’est retirée dans le monde d’en bas pour y prendre soin des morts. Ce personnage était sur la scène depuis le début de la pièce. Elisa Avandano Curaqueo, une représentante de la tribu sud-américaine des Mapuche, incarne ce personnage. Ses chants indiens plaintifs ne sont que deuil et mélancolie.

Ceux qui sentent, comprennent

Elle chante dans sa propre langue. Tout comme les femmes Maori. Une langue que le public à St. Pölten ne comprend pas. « Peu importe que l’on comprenne ou pas » dit Lemi Ponifasio « ce qui est important, en revanche, c’est de s’abandonner à la situation, de la ressentir et d’avoir conscience qu’il s’agit d’un moment exceptionnel, ici et maintenant. »

Un son sourd et continu enveloppe la pièce du début à la fin. Pour reprendre les termes de l’histoire de la musique, on pourrait dire qu’une sorte de « basse générale » constitue une étoffe auditive pour tout ce qui se passe sur la scène. Des bruits infimes, à peine perceptibles y sont ajoutés de temps à autre. A un endroit, des voix d’abord à peine audibles se transforment en une espèce de collectif sonore, puissant, dominé par les hommes. A cet instant on comprend qu’une jeune femme est inculpée d’un crime par une société dominée par l’homme qui sanctionne ce crime par la peine capitale.
Pendant un court instant, elle agit elle même en tant que Justizia. Son bras gauche devant ses yeux, elle baisse doucement son bras droit tendu au bout duquel balance une boule blanche. En même temps, elle tire sur sa robe : Debout sur un cube noir, posé en biais, elle se retrouve nue, sans protection aucune, livrée aux regards du public, soumise aux hurlements des hommes fous de rage.

2017 05 20 Standing In Time 01 c MAU

Standing in Time von Lemi Ponifasio (c) MAU

Sa mort, symbolisée par le tas de cendres à coté de ses pieds, pendant qu’elle reste figée sur le bloc monolithique et le rite de l’enterrement qui suit vous donnent la chair de poule. Sans l’ange lumineux présent au bord de la scène, toute la salle ne serait emplie que d’horreur et de chagrin.
« We have to bury our deads properly » – ce précepte Maori est appliqué sur la dépouille de la femme. Le public est témoin de l’immense tendresse avec laquelle le corps de la défunte est lavée et déplacée. Un chœur merveilleux clôt cette scène. Ce sont les femmes qui entonnent ce premier chant polyphonique. Contrairement aux litanies monocordes qui l’ont précédé, ce chant donne à chacune d’elle sa propre voix. L’ange pousse le catafalque jusqu’au bord de la scène. A partir du cou, la jeune morte est couverte d’un linceul en lin blanc. Avec cette vision on fait l’ultime expérience de la condition humaine. Une expérience à laquelle seulement la religion peut apporter un peu de consolation. La manière géniale dont cette consolation est apportée au public, coupe littéralement le souffle : Surprenant, sans faire de bruit et quelque part choquant. L’ange tire sur le linceul pour couvrir le visage de la jeune femme, tout en découvrant ses pieds et ses jambes. Tout d’un coup, très doucement, ses pieds commencent à bouger, elle ramène ses genoux en arrière. Avec une lenteur extrême, la jeune femme commence à ouvrir ses cuisses et offre son sexe au regard du public. « L’origine du monde » est le titre de l’œuvre de Gustave Courbet. Cette œuvre date de 1866 et représente exactement cette vision. Elle n’a pas été exposée pendant des dizaines d’années et n’a fait son entrée dans l’histoire de l’art que tardivement. L’origine du monde, c’est ici qu’elle se trouve, dans le sexe des femmes qui donnent naissance à l’humanité. Sans cesse, toujours et encore, une génération après l’autre.

Applaus c Lena Berger

Standing in Time (c) Lena Berger

L’espoir dans la mort

Dans la culture des Maori, la vie et la mort ne sont pas séparées. Le monde des vivants et l’au delà ne font qu’un, puisqu’on continue à s’occuper des morts. C’est au public d’interpréter cette dernière image, l’image la plus forte. Si on peut y voir la vie après la mort ou le cycle éternel, la question reste posée. Quel que soit le regard que l’on porte sur « Standing in Time » :
Quelle que soit la scène de théâtre dans le monde, la vie et la mort, la justice et l’injustice ou alors l’éternel recommencement du cycle de la vie, ont rarement été montrés de manière plus discrète et en même temps plus perturbante et chargée d’émotions que ce soir-là. C’est une cérémonie sur les planches d’un théâtre qui transmet sa force au public, si le public est ouvert à ce transfert d’énergie. Cette force se nourrit d’une vision profondément humaine du monde. Un monde qui connaît des combats autour du droit et de la justice, mais qui honore ses morts, qui leur témoigne du respect.
Une pièce perturbante, chargée d’émotions qui ne laisse personne indifférent.

Cette pièce sera présentée dans le cadre du festival d’Avignon.

Qui a encore besoin de drogues ? Giselle comme « projet de Méthadone » à l’Opéra de Strasbourg

Qui a encore besoin de drogues ? Giselle comme « projet de Méthadone » à l’Opéra de Strasbourg

Giselle (Foto: Jl Tanghe)

Giselle (Foto: Jl Tanghe)

Pour tous ceux qui aiment s’évader dans un monde parallèle mais qui malgré tout – et heureusement – ne touchent pas à la drogue, voilà une ordonnance « spéciale » : Une soirée avec Giselle à l’Opéra du Rhin à Strasbourg.

Les uns pourraient s’écrier : « C’est du réchauffé! » ou alors « Qui a encore envie de voir ça »? Inutile de vouloir faire changer d’avis aux éternels mécontents. De toute façon, toutes les représentations de Giselle se jouent à guichets fermés – sans exception! Et c’est plus que justifié : Ce que l’on propose lors de ces soirées ce n’est pas seulement un ballet classique de top niveau mais il s’agit aussi d’une interprétation musicale sans égal.

Un personnage d’exception dont on devrait retenir le nom dirige dans ce cas précis la musique d’Adolphe Adam : C’est une jeune femme, la française Ariane Matiakh qui est au pupitre. Une femme de cœur et chaleureuse qui de plus possède une oreille particulièrement sensible aux finesses de cette musique. Mais on pourrait éventuellement relativiser sa performance si on prenait en considération le fait que ce sont des membres de l’OPS, de l’Orchestre Philharmonique de Strasbourg, qui jouent sous sa direction. Et tous ceux, qui ont déjà assisté aux concerts de cette formation savent, qu’il s’agit d’un orchestre qui n’a rien à envier aux meilleurs du monde. Mais quand même : les musiciennes et musiciens agissent sous la direction de « cette » chef d’orchestre comme si elle agitait une tendre baguette…..magique !
Aucun crescendo sans enfler en constante progression, pas de pianissimo qui ne soit comparable à un souffle, pas de mancando qui ne se perd comme un foulard en soie qui glisse au sol dans un mouvement aérien. J’avoue que mes paroles sont très fleuries ! Mais comment réussir autrement à faire ressentir aux lecteurs, ne serait-ce que approximativement la qualité de cette représentation musicale ?

Les danseuses et danseurs sur la scène ont proposé une prestation dans les règles de l’art du ballet classique : Des arabesques, des jetés, des entrechats. Tous les registres, toutes les positions, tous les mouvements du répertoire du ballet classique étaient montrés ce soir-là.

giselle photo jl tanghe 03lf2512537102241

Giselle (Foto: Jl Tanghe)

Maina Gielgud a rajouté à cette œuvre qu’elle a créée en 2003 en collaboration avec l’ensemble strasbourgeois encore d’autres formes d’expression, plus subtiles. Comme par exemple l’apparition des Wilis : Quand les esprits féminin traversent la scène en formation de blocs, comme s’ils appartenaient effectivement à un autre monde, la sensibilité de l’intervention contemporaine de la chorégraphe, qui s’appuie sur les chorégraphies de Jules Perrot, de Jean Coralli et de Marius Petipa (tous des figures du 19e siècle), est parfaitement visible. Le conte raconte l’histoire d’une jeune fille de la campagne qui tombe amoureuse d’un noble pour finalement mourir de cet amour. Son esprit reviendra de l’autre monde pour errer avec d’autres malheureuses décédées avant le mariage pour effrayer les vivants. Ce sujet n’émeut habituellement que les petites ballerines. Le fait que pendant la représentation à Strasbourg même le public d’âge un peu plus mur « ne lâche pas la barre » pendant une heure et demie prouve que même au-delà de l’âge tendre la fascination autour de ce sujet est restée intacte. Ce qui rend la chose possible, c’est l’approche de Maine Gielgud. Elle fait en sorte que l’interprétation de cette histoire qui parle d’amour, de la mort, du pardon et du don de soi-même par chaque danseuse et chaque danseur soit tellement intense que les émotions qu’ils font naître deviennent les éléments qui portent la représentation au même titre que la danse.

Sybile Obré, la Giselle du 16 janvier dansait comme une toute jeune fille avec une légèreté incroyable. La dramaturgie lui dicte une attitude protectrice vis-à-vis de son amoureux qui serait perdu sans elle. Elle s’est acquittée de cette tâche de façon extrêmement touchante.
Quand elle traversait la scène sur la pointe d’une jambe ce que l’on appelle en langage de ballet un « temps levé sur pointe » c’était aussi fascinant que le fabuleux « pas de deux » qu’elle dansait avec Alexandre Van Hoorde qui incarnait son Albrecht adoré. D’une grande présence sur la scène, il dansait depuis le début avec une énergie débordante et maîtrisait ses nombreux entrechats (sauts debout avec de nombreux croisements de jambes) de son grand solo sans effort apparent. Mais ce que cela signifie en réalité, seulement ceux qui ont fait de la danse classique peuvent le savoir, ou alors, pour avoir une vague idée, il suffit d’essayer de sauter en l’air trois fois de suite tout en essayant de croiser les jambes plusieurs fois en même temps. Les applaudissements spontanés du public pendant sa prestation ont montré que le public de Strasbourg est fin connaisseur et sait apprécier de tels exploits à leur juste valeur. Ce qui paraît très décontracté est en vérité la très grande école de la danse classique. Sandy Delasalle, comme Myrtha, la reine des Wilis dansait au tout début un passage sur les pointes époustouflant qui paraissait ne pas vouloir prendre fin. La maîtrise de son corps est en accord parfait avec son apparence. Elle est élancée et pleine de grâce, faite pour ce rôle. Mais aussi les autres rôles ont été idéalement distribués ce soir-là. Le public était emporté dans un rêve de danse qui était grâce aux décors et aux costumes de Jean-Marc Puissant d’une harmonie totale.

Je recommande à chaque visiteuse et à chaque visiteur de l’Opéra du Rhin d’acheter le programme. On y trouve de nombreux renseignements précieux, complémentaires à la représentation. Comme une très bonne contribution concernant l’historique des différentes représentations autour du monde par exemple ou alors de la littérature autour de cette œuvre ainsi que des références aux différents médias. L’Opéra de Rhin tient à parfaire le savoir de son public au-delà des représentations sur place.

Une sorte d’introduction était la chorégraphie « papillons » de Bertrand d’At. Il est le chef du ballet de l’Opéra à Strasbourg et a créé cette pièce à la demande du ballet de Shanghai. Superbement accompagné au piano par Inga Kazantseva qui a remplacé Maxime Georges, malade, au pied levé, D`At a montré une ronde autour du sentiment amoureux. Mais aussi l’incompréhension de l’art par la classe moyenne contemporaine et leur incompatibilité étaient exprimées d’après la musique pour piano de Schumann, Schubert et Mendelssohn-Bartholdy. Autant les danseuses et danseurs dans leurs costumes et vestes légères de toutes les couleurs s’amusaient, s’adonnaient à la musique et étaient plein de vie, autant les hommes et femmes en tailleurs et costumes noires et strictes s’ennuyaient et s’intéressaient à rien.
Encore une fois, Elle Sandy Delasalle comme « Diva » déchirée entre les deux mondes se distinguait. Tout autant que son partenaire, Miao Zong, qui n’a jamais réussi, même en transgressant les frontières des deux mondes de conquérir le cœur de son élue pour de bon.
Une idée intéressante qui est sans douté née d’un sentiment personnel de la vie d’artiste qui est bien à part.

D’autres représentations sont prévues à Colmar et à Mulhouse.

Texte traduit de l’Allemand par Andrea Isker

Pin It on Pinterest