Io sono – je suis – ich binIo sono – je suis – ich bin

Io sono – je suis – ich binIo sono – je suis – ich bin

Michaela Preiner

Foto: ( )

9.

Februar 2011

«Chaque mot possède son propre langage. On ne peut pas échanger un  mot contre un autre, juste comme ça ! » Voilà le constat que fait Enrico Tedde et son quotidien le confirme. Il est marié à la danseuse et chorégraphe allemande Virginia Heinen. Tedde vie à Strasbourg où on parle français et le danseur d’origine italienne […]

«Chaque mot possède son propre langage. On ne peut pas échanger un  mot contre un autre, juste comme ça ! » Voilà le constat que fait Enrico Tedde et son quotidien le confirme. Il est marié à la danseuse et chorégraphe allemande Virginia Heinen. Tedde vie à Strasbourg où on parle français et le danseur d’origine italienne se sert de sa langue maternelle pour communiquer avec sa fille.

«Io sono – je suis – ich bin – hier, ici, pour dire que…….non, non, io sono – je suis – ich bin – hier, ici non pas pour dire ceci» explique-t-il au public étant assis à son bureau. Encore et encore il essaie de dire pourquoi il est là ce soir ; parfois ses tentatives sont grotesques. Il s’embrouille avec ses propres dires. Il émet une thèse pour décréter l’antithèse immédiatement après. Il n’affirme jamais rien et ses contradictions vont en augmentant. Pour finir, il semble incapable de leur faire face, même si, et c’est cela qui est si intéressant, il a fait naître ces contradictions lui-même. C’est un dilemme auquel l’intelligence est confrontée en permanence. Ce dilemme représente une sorte de principe de vie inébranlable, un principe impossible à éviter ou à contourner.

Tedde évolue dans un décor complexe. En revanche le matériel et la technique mis en œuvre sont simples. Des cordes rouges, bleues, jaunes, vertes, blanches et noires sont tendues dans tous les sens. Elles délimitent encore davantage l’espace sur la scène, un espace déjà limité en soi. Ce méli-mélo de cordes multicolores s’étend en diagonale, vers le haut pour aboutir dans une sorte de couloir. Sur un plan incliné, ces cordes  maintiennent le bureau devant lequel le danseur est assis. Très rapidement on se rend compte que ces cordes correspondent à des trajectoires prédéterminées qui donnent des limites à l’homme, elles le maintiennent et le font penser et réfléchir selon certains schémas très précis. Tout ceci ne peut être dépassé qu’au prix d’un effort majeur. Une image linguistique courante pour illustrer ce que Tedde montre au début de sa performance, serait la fameuse roue de hamster dont, une fois dedans, on ne peut plus échapper. Le monde «tendu» de Tedde avec ses limitations a de telles influences sur l’être humain, que celui-ci finit par ne vivre plus que des tensions, justement. Si………. si Johann Sébastian Bach n’existait pas ! Grâce à sa musique, l’homme assis à son bureau où, tel un maniaque, il remet en permanence ses accessoires d’écriture en ordre réussit à rompre avec cette folie en l’espace d’une seconde. A chaque fois que Tedde met les écouteurs noirs sur ses oreilles, le public entend une chorale de «la passion selon Saint Jean» de Bach. Tedde décrit par son langage corporel très expressif la transformation qui s’opère : comme illuminé de l’intérieur, enchanté, ravi, il plonge dans des émotions qui l’éloignent de ce que fut sa vie encore quelques instants auparavant. Mais ces moments extraordinairement beaux son courts. Trop courts pour influencer durablement sa vie. L’homme reste ce qu’il a toujours été : stressé, obéissant à des contraintes aussi bien intérieures qu’extérieures. Il ne semble prêt à la catharsis qu’au moment où quelque chose l’éjecte de sa trajectoire qui paraissait immuable. Et chez Tedde cela se produit au sens propre du terme. Son introduction verbale est suivie d’une danse sauvage, une rébellion essoufflée. Son corps doit obéir à des ordres venant d’ailleurs, il doit encaisser des coups – acoustiques – qui finissent par le transformer en Alien. Incapable de faire des mouvements harmonieux, avec des gestes brusques, comme un robot, il traverse l’espace en dansant. Du coup, cet espace lui réserve des obstacles de nature différente. Sans faire exprès, il se retrouve en dehors des limites de l’endroit ou il était encore chez lui,  malgré lui, peu de temps auparavant. La musique change, le beat dur se tait, des voix mystérieuses aboutissent à un lamento serein. Tedde crée un espace immatériel qui est en opposition avec l’espace matériel que représente la scène. C’est cette musique qui libère le torturé de tout ce qui paraissait encore important et qui avait  beaucoup de valeur encore peu de temps auparavant. La lumière sur le corps de Tedde est dure et tendre à la fois. Elle montre son corps de plus en plus dénudé, le reste disparaît dans le noir. «Io sono – je suis- ich bin» …..à ce moment là, on ne peut entendre ces mots, mais ils correspondent parfaitement à cet être humain sans défense qui est en train de se réinventer.

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